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LE MARQUIS DE SADE 

 

On ne possède aucun portrait de Sade à l’exception

d’un profil du jeune marquis dessiné par

Charles van Loo vers 1760.

 

 

Donatien Alphonse François, marquis de Sade, né le 2 juin 1740 à Paris et mort le 2 décembre 1814 à Charenton, est un écrivain français.

Longtemps voué à l’anathème en raison de la part accordée dans son œuvre à un érotisme de la violence et de la cruauté (incestes, viols, sodomie, etc).
 Le néologisme « sadisme », formé d’après son nom, est apparu dès 1834 dans le Dictionnaire universel de Boiste comme « aberration épouvantable de la débauche : système monstrueux et antisocial qui révolte la nature ».


 C’est Krafft-Ebing, médecin allemand, qui a donné à la fin du XIXe siècle un statut scientifique au mot sadisme, comme antonyme de masochisme pour désigner une perversion sexuelle dans laquelle la satisfaction est liée à la souffrance ou à l’humiliation infligée à autrui.

 

Occultée et clandestine pendant tout le XIXe siècle, son œuvre littéraire est réhabilitée au XXe siècle, malgré une censure officielle qui durera jusqu’en 1960, la dernière étape étant sans doute représentée par l’entrée de Sade dans la Bibliothèque de la Pléiade en 1990.

Il signait « de Sade » ou « D.-A.-F. Sade ». Marquis ou comte pour ses contemporains, il est pour la postérité le « marquis de Sade » et, dès la fin du XIXe siècle, le « divin marquis » , à la suite du « divin Arétin », premier auteur érotique des temps modernes (XVIe siècle), un peu oublié de nos jours.


Sade naît à Paris le 2 juin 1740 à l'hôtel de Condé, de Jean Baptiste François, comte de Sade, héritier d’une des plus anciennes maisons de Provence, seigneur de Saumane et de Lacoste, coseigneur de Mazan, et de Marie Éléonore de Maillé de Carman, parente et "dame d’accompagnement" de la princesse de Condé.

 
Sur le blason des Sade, l'aigle impérial à deux têtes, privilège obtenu de l'empereur Sigismond par Elzéar de Sade en 1416  levé avec la conviction d’appartenir à une espèce supérieure, sa nature despotique et violente se forme très tôt:

 " Allié par ma mère, à tout ce que le royaume avait de plus grand ; tenant, par mon père, à tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de plus distingué ; né à Paris dans le sein du luxe et de l'abondance, je crus, dès que je pus raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus, parce qu'on avait la sottise de me le dire, et ce préjugé ridicule me rendit hautain, despote et colère ; il semblait que tout dût me céder, que l'univers entier dût flatter mes caprices, et qu'il n'appartenait qu'à moi seul et d'en former et de les satisfaire."

 

À cinq ans, son éducation est confiée à son oncle paternel, l’abbé de Sade, libertin et érudit, historien de Pétrarque, très lié à Voltaire et Émilie du Châtelet, qui l’héberge à Saumane.

À dix ans, il entre au collège Louis-le-Grand que dirigent les pères jésuites, établissement alors le mieux fréquenté et le plus cher de la capitale. Les représentations théâtrales organisées par les pères sont sans doute à l’origine de la passion de Sade pour l’art du comédien et la littérature dramatique.

À quatorze ans, il est reçu à l’École des Chevau-légers de la garde du roi, en garnison à Versailles, qui n’accepte que des jeunes gens de la plus ancienne noblesse.

 À dix-sept ans, il obtient une commission de cornette (officier porte-drapeau), au régiment des carabiniers du Comte de Provence, frère du roi, et prend part à la guerre de Sept Ans contre la Prusse.

À dix-neuf ans, il est reçu comme capitaine au régiment de Bourgogne cavalerie avec l’appréciation suivante : «  joint de la naissance et du bien à beaucoup d’esprit ; a l’honneur d’appartenir à M. le prince de Condé par Madame sa mère qui est Maillé-Brézé ».

 

Le jeune homme a la plus mauvaise réputation. Il est joueur, prodigue et débauché. Il fréquente les coulisses des théâtres et les maisons des proxénètes. Pour se débarrasser d'un fils qu'il sent « capable de faire toutes sortes de sottises », le comte de Sade lui cherche une riche héritière.

Le 17 mai 1763, le mariage du marquis de Sade et de Renée-Pélagie de Montreuil, fille d’un président à la cour des Aides de Paris, de petite noblesse de robe, mais dont la fortune dépasse largement celle des Sade, est célébré à Paris.


 Les scandales 
 
Portrait imaginaire : Sade soumis aux quatre vents des suggestions diaboliques


La première diffusion du nom de Sade n’a rien de littéraire et se fait par les scandales.

Ainsi, l’opinion publique apprend-elle au printemps 1768, qu’un marquis a entraîné dans sa petite maison d’Arcueil, une jeune veuve, fileuse de coton au chômage depuis un mois et réduite à la mendicité, pour la fouetter jusqu’au sang et la contraindre, un jour de Pâques, à des pratiques blasphématoires.

L’imaginaire collectif multiplie les détails qui viennent pimenter la relation des faits. Ce ne sont pas les premiers excès du marquis de Sade qui a été arrêté cinq ans plus tôt pour des faits approchants.

 L’affaire est jugée au Parlement en juin et le roi fait libérer le coupable en novembre.

 

Tout aurait pu tomber dans l'oubli si le scandale n’avait à nouveau éclaté quatre ans plus tard. L’affaire de Marseille succède en juin 1772 à celle d’Arcueil. Il ne s’agit plus cette fois d’une fille mais de quatre. Le marquis a proposé à ses partenaires sexuelles des pastilles à la cantharide. L’aphrodisiaque est présenté dans l’opinion comme un poison. La participation active du valet justifie l’accusation de sodomie, punie alors du bûcher. La condamnation est cette fois la peine de mort pour empoisonnement et sodomie pour le marquis et son valet qui ont fui en Italie.

Lorsqu’il sera définitivement arrêté et incarcéré par lettre de cachet, cinq ans plus tard, à l’instigation de sa belle-mère, Mme de Montreuil, qui craint de nouveaux scandales, cette mesure lui évitera l’exécution mais l’enfermera dans une prison en attendant le bon vouloir du gouvernement et de la famille. Or la famille se lasse de ses frasques. Elle a soin de faire casser la condamnation à mort, mais sans faire remettre le coupable en liberté.

 
À la Bastille, Sade était enfermé, au 2e puis au 6e étage de la tour Liberté


Le manuscrit autographe des Cent Vingt Journées de Sodome disparu à la prise de la Bastille, révélé en 1904 par Iwan Bloch, transcrit scrupuleusement par Maurice Heine en 1931, et exposé pour la première fois à la fondation Bodmer à Genève en 2004 « Impérieux, colère, emporté, extrême en tout, d'un dérèglement d'imagination sur les mœurs qui de la vie n'a eu son pareil, en deux mots me voilà : et encore un coup, tuez-moi ou prenez-moi comme cela, car je ne changerai pas ».

 Tel est le portrait que Sade trace de lui-même, dans une lettre à sa femme. L'absence de liberté ne fera qu'exacerber ces défauts en aggravant du même coup son délire de persécution.

 

Mme de Montreuil, sa famille attendent de lui du repentir, une conduite irréprochable pour abréger sa détention. Ce sera tout le contraire : crises de rage et de désespoir, violences verbales et physiques, déchaînements de haine et d’outrages dans ses lettres qu’il sait pourtant lues par la censure.

 

Sade a trente-huit ans. On l'enferme à Vincennes pendant cinq ans et demi puis à la Bastille. La libération devient improbable, la rage s'éternise. L’incarcération l’amène à chercher dans l’imaginaire des compensations à ce que sa situation a de frustrant.

 Condamné pour débauches outrées, il se lance dans une œuvre littéraire qui s’en prend à la morale sexuelle dominante et à l’institution judiciaire. "En prison entre un homme, il en sort un écrivain", note Simone de Beauvoir.

 

Le 22 octobre 1785, il entreprend la mise au net des brouillons des Cent Vingt Journées de Sodome, sa première grande œuvre, un

 « gigantesque catalogue de perversions » selon Jean Paulhan. Afin d’éviter la saisie de l’ouvrage, il en recopie le texte d'une écriture minuscule et serrée sur 33 feuillets de 11,5 cm collés bout à bout et formant une bande de 12 m de long, remplie des deux cotés. À la prise de la Bastille, sa cellule sera pillée, le rouleau de papier disparaîtra. Perdu par son auteur, qui versera « des larmes de sang », il sera retrouvé dans les pierres de la Bastille, conservé pendant tout le XIXe siècle, publié en Allemagne en 1904 par un médecin berlinois, puis en France en 1931 par Maurice Heine.

Rendu à la liberté le 2 avril 1790 par l’abolition des lettres de cachet, Sade s’installe à Paris.

 

Il a 51 ans. Il est méconnaissable, physiquement marqué par ces douze années. « J’ai acquis, faute d’exercice, une corpulence si énorme qu’à peine puis-je me remuer », reconnaît-il.

 La marquise demande la séparation de corps et l’obtient. Il fait la connaissance de Marie-Constance Quesnet, une comédienne de 33 ans qui ne le quittera plus jusqu’à sa mort. Il n’aspire plus qu’à couler des jours paisibles d’hommes de lettres, vivant bourgeoisement des revenus de ses terres de Provence. Les dévergondages de son imagination, il les réserve désormais à son œuvre.

 

En présentant une pétition antireligieuse à la Convention le 15 novembre 1793 , Sade prend parti dans le conflit qui l'oppose aux hébertistes.

 

Ses fils émigrent, il ne les suit pas, mais sa qualité de ci-devant le rend a priori suspect.

 Pour survivre, il se lance dans la cause populaire et met au service de sa section de la place Vendôme – la section des Piques - sa compétence d’hommes de lettres. En 1792, "Louis Sade, homme de lettres" est nommé secrétaire, puis président de séance « au tour » de sa section.

 

Entraîné par le succès de ses harangues et de ses pétitions, emporté par sa ferveur athéiste, il prend des positions extrêmes en matière de déchristianisation, au moment où le mouvement va être désavoué par Robespierre et les sans-culottes les plus radicaux éliminés de la scène.

Le 8 décembre 1793, il est arrêté comme suspect.

Nouvelle incarcération de dix mois et demi aux Madelonnettes, puis aux Carmes, à Saint-Lazare et à Picpus. Condamné à mort par le tribunal révolutionnaire à la veille de la chute de Robespierre, il n’échappe à l’échafaud que de justesse.

 

« Ma détention nationale, la guillotine sous les yeux, écrit-il à son homme d'affaires provençal le 21 janvier 1795, m'a fait cent fois plus de mal que ne m'en avaient fait toutes les bastilles imaginables." Sa situation s’est considérablement dégradée. Son nom se trouve par erreur sur la liste des émigrés du Vaucluse, le privant de ses principaux revenus à partir de 1797.

Aux abois, couvert de dettes, il doit gagner sa vie.

La production d'ouvrages clandestins obscènes devient pour Sade une bénéfique ressource financière : en 1799, La Nouvelle Justine, qu’il désavoue farouchement, lui permet de payer ses dettes les plus criardes.

Les saisies de l’ouvrage n’interviendront qu’un an après sa sortie, mais déjà, l’étau se resserre. Une violente campagne de presse lui attribue

 « l’infâme roman de Justine ». Le scandale est à la mesure de la provocation.

On lit dans l’Ami des lois du 29 août 1799 : « On assure que de Sade est mort. Le nom seul de cet infâme écrivain exhale une odeur cadavéreuse qui tue la vertu et inspire l’horreur : il est auteur de Justine ou les Malheurs de la vertu. Le cœur le plus dépravé, l’esprit le plus dégradé, l’imagination la plus bizarrement obscène ne peuvent rien inventer qui outrage autant la raison, la pudeur, l’humanité ».


Certaines figures de fiction ont accompagné leur créateur tout au long de leur vie :

comme Faust pour Goethe ou Figaro pour Beaumarchais, c’est le cas de Justine pour Sade.

 

En mars 1791, une lettre de Sade à Reinaud, son avocat à Aix, annonce en ces termes la sortie prochaine de Justine : « On imprime actuellement un roman de moi, mais trop immoral pour être envoyé à un homme aussi pieux, aussi décent que vous. J’avais besoin d’argent, mon éditeur me le demandait bien poivré, et je lui ai fait capable d’empester le diable. On l’appelle Justine ou les Malheurs de la vertu. Brûlez-le et ne le lisez point s’il tombe entre vos mains : je le renie. »

 

Une première version est rédigée à la Bastille en 1787. Par étapes successives, l’auteur ajoute de nouveaux épisodes scabreux qu’il fait se succéder les uns aux autres, comme un feuilleton.

Deux volumes en 1791, pas moins de dix volumes illustrés de cent gravures obscènes en 1799 sous le Directoire, la plus vaste entreprise pornographique jamais réalisée, sous le titre de La Nouvelle Justine ou les malheurs de la vertu, suivie de l’Histoire de Juliette, sa sœur.

 

Le livre scandalise, mais surtout il fait peur : très vite on sent que la subversion l’emporte sur l’obscénité. C’est pourquoi les contemporains lui refusent ce minimum de tolérance dont bénéficient ordinairement les écrits licencieux. Justine, on la rejette en bloc, sans appel, on voudrait la voir anéantie. L’œuvre marque la naissance de la mythologie sadienne.

 
Bonaparte jetant Justine au feu (attribué à P. Cousturier) :
« le livre le plus abominable qu’ait enfanté l’imagination la plus dépravée ».
(Mémorial de Sainte-Hélène, Pléiade, t.II, p.360)

 

Le 6 mars 1801 une descente de police a lieu dans les bureaux de son imprimeur. Le Consulat a remplacé le Directoire. le Premier Consul Bonaparte négocie la réconciliation de la France et de la papauté et prépare la réouverture de Notre-Dame.

 On est plus chatouilleux sur les questions de morale. Sade est arrêté. Il va être interné, sans jugement, de façon totalement arbitraire, à Sainte-Pélagie, puis à l'asile de Charenton comme fou.

Comme il jouissait de toutes ses facultés mentales, on invoqua l’obsession sexuelle : « Cet homme incorrigible, écrit le préfet Dubois, est dans un état perpétuel de démence libertine ».

Dés son installation, il jouit, en tout cas de conditions privilégiées. Il occupe une chambre agréable que prolonge une petite bibliothèque, le tout donnant sur la verdure du coté de la Marne. Il se promène dans le parc à volonté, tient table ouverte, reçoit chez lui certains malades ou leur rend visite. Constance Quesnet vient le rejoindre en août 1804 et occupe la chambre voisine. Mais il fait l’objet d’une étroite surveillance.

 Sa chambre est régulièrement visitée par les services de police, chargés de saisir tout manuscrit licencieux qui pourrait s’y trouver.

 Le 5 juin 1807, la police saisit un manuscrit, Les Journées de Florbelle, « dix volumes d'atrocités, de blasphèmes, de scélératesse », « allant au-delà des horreurs de Justine et de Juliette », écrit le préfet Dubois à son ministre Fouché.

 

Sade sympathise avec le directeur de Charenton, M de Coulmier. Ce dernier avait toujours cru aux vertus thérapeutiques du spectacle sur les maladies mentales. De son côté, le marquis nourrissait une passion sans bornes pour le théâtre. Il va devenir l’ordonnateur de fêtes qui défrayèrent la chronique de l’époque.

Coulmier fait construire un véritable théâtre. En face de la scène s’élèvent des gradins destinés à recevoir une quarantaine de malades mentaux, choisis parmi les moins agités.

Le reste de la salle peut recevoir environ deux cents spectateurs, exclusivement recrutés sur invitation. Très vite, il devient du dernier chic d’être convié aux spectacles de Charenton.

 La distribution des pièces comporte en général un petit nombre d’aliénés, les autres rôles étant tenus soit par des comédiens professionnels, soit par des amateurs avertis comme M de Sade ou Marie-Constance Quesnet. Le marquis compose des pièces pour le théâtre et dirige les répétitions.

Les malades de l'hospice de Charenton jouent, sous la direction du marquis de Sade et sous le regard vigilant de Coulmier, directeur et premier spectateur, une pièce sur la Révolution française et la mort de Marat. Celui qui joue Marat est un paranoïaque retenu dans sa baignoire pour un traitement hydrothérapique, Charlotte Corday est une hypotonique se comportant en somnanbule, Duperret est un érotomane, Roux un fanatique de la politique

 

Le médecin-chef, en désaccord avec le directeur, estime que la place de Sade n’est pas à l’hôpital mais « dans une maison de sûreté ou un château fort ». La liberté dont il jouit à Charenton est trop grande.

Sade n’est pas fou mais rend fou. La société ne peut espérer le soigner, elle doit le soumettre à « la séquestration la plus sévère ». En 1808, le préfet Dubois ordonne son transfert au fort de Ham. La famille intervient auprès de Fouché qui révoque l’ordre et autorise Sade à demeurer à Charenton jusqu’à la fin de ses jours.


 Chronologie  [modifier]
1740 : naissance le 2 juin à Paris dans l'hôtel de Condé. Baptisé à Saint-Sulpice, les parents, parrain et marraine s’étant fait représentés par des officiers de maison, il reçoit par erreur les prénoms de Donatien Alphonse François au lieu de Donatien Aldonse Louis. Sade utilisera dans la plupart de ses actes officiels les prénoms qui lui étaient destinés, entretenant une confusion qui aura des conséquences fâcheuses lors de sa demande de radiation sur la liste des émigrés.


1744 : envoyé en Provence chez son oncle, l'abbé de Sade à Saumane.


1750 : de retour à Paris, entrée chez les jésuites du lycée Louis-le-Grand.


1754 : élève à l'École des Chevaux-légers.


1755 : sous-lieutenant au régiment du Roi Infanterie.


1757 : participe à la guerre de Sept Ans comme cornette aux carabiniers du comte de Provence.


1759 : capitaine au régiment de Bourgogne Cavalerie. Un de ses compagnons le décrit ainsi : « Sade est furieusement combustible : gare les Allemandes ! »


1763 : son père lui cherche un parti. Le marquis a une liaison avec Mlle de Lauris, de vieille noblesse provençale, qu'il voudrait bien épouser. 17 mai : mariage avec Renée-Pélagie de Montreuil. 18 octobre : fustigations et impiétés avec Jeanne Testard, une jeune ouvrière. Incarcération de 15 jours au donjon de Vincennes, puis assignation à résidence chez sa belle-famille au château d'Échauffour (Normandie).


1764 : Sade succède à son père dans la charge de lieutenant général aux provinces de Bresse, Bugey, Valromey et Gex. Il se rend à Dijon pour prononcer le discours de réception devant le parlement de Bourgogne


1765 : liaisons avec des actrices connues pour leurs amours vénales avec de grands seigneurs : Mlle de Beauvoisin qu'il amène à La Coste, Mlle Dorville, Mlle Le Clair…


1767 : mort de son père, le comte de Sade. Il est nommé capitaine commandant au régiment du Mestre de camp Cavalerie. Naissance de son premier fils. Le prince de Condé et la princesse de Conti sont ses parrains.


1768 : premier grand scandale. Flagellations et sacrilèges avec Rose Keller à Arcueil, le dimanche de Pâques. Incarcéré à Saumur puis sept mois à Pierre-Encise, il est libéré en novembre sous la pression de sa famille et assigné à résidence dans son château de Lacoste
 
Le château familial de La Coste, bâti sur l'un des contreforts du Lubéron, pillé à la Révolution, puis vendu.1769-1772 : bals, comédies et dettes à La Coste.

 

 Liaison avec sa belle-sœur Anne-Prospère de Launay, chanoinesse.

 

 Le 27 juin 1772, second grand scandale : flagellations, sodomie, absorptions d'aphrodisiaques au cours d'une partie à Marseille avec son domestique Latour et quatre prostituées.

 

 Fuite en Italie. Condamné à mort par contumace et exécuté en effigie à Aix-en-Provence.

 

 Le 8 décembre, arrestation et incarcération au fort de Miolans en Savoie.


1773-1777 : évasion le 30 avril 1773 et retour à La Coste.

Réfugié dans son château, le marquis échappe aux recherches. Il recrute comme domestiques cinq jeunes filles et un jeune secrétaire et organise des orgies auxquelles participe la marquise.

 Nouvelle fuite en Italie pendant 6 mois, puis retour à La Coste.

Le père d'une jeune servante vient réclamer sa fille et tire sur Sade. Redoutant de nouveaux scandales, sa belle-mère, la Présidente de Montreuil, le fait arrêter par lettre de cachet le 13 février 1777, alors qu'il se rend à Paris au chevet de sa mère mourante. Il est conduit au donjon de Vincennes.


1778 : la famille fait casser la condamnation à mort d'Aix-en-Provence. Profitant de son transfert à Aix, le marquis s'échappe le 16 juillet et se réfugie à La Coste. Il est repris le 7 septembre 1778 et reconduit au château de Vincennes.


1778-1789 : Sade restera en prison 12 ans, d'abord à Vincennes, puis à partir de 1784 à la Bastille. Il a droit à un traitement de faveur, payant une forte pension. Mais il a un comportement de révolté : altercation avec d'autres prisonniers dont Mirabeau, violences, menaces, lettres ordurières à sa belle-mère et même à sa femme qui lui est pourtant entièrement dévouée. La présidente de Montreuil ne juge pas possible une libération.


1789 : 2 juillet : « il s'est mis hier à midi à sa fenêtre, et a crié de toutes ses forces, et a été entendu de tout le voisinage et des passants, qu'on égorgeait, qu'on assassinait les prisonniers de la Bastille, et qu'il fallait venir à leur secours », rapporte le marquis de Launey, gouverneur de la Bastille qui obtient le transfert du prisonnier à Charenton, alors hospice de malades mentaux tenus par les frères de la Charité. On ne lui laisse rien emporter. « Plus de cent louis de meubles, six cents volumes dont quelques-uns fort chers et, ce qui est irréparable, quinze volumes de mes ouvrages manuscrits(…) furent mis sous le scellé du commissaire de la Bastille ».

 Sa cellule sera pillée le 14 juillet.


1790 : Sade est libéré le 2 avril par la Révolution à la suite de l'abolition des lettres de cachet. Sa femme, réfugiée dans un couvent, demande la séparation de corps.

 

 Liaison avec une actrice de 31 ans, Marie-Constance Quesnet (« Sensible »), à laquelle il restera fidèle jusqu'à la fin de sa vie. Il s'inscrit à la section de la place Vendôme qui va devenir section des Piques, essaie de faire jouer ses pièces sans grand succès, publie Justine et vit des revenus de ses terres de Provence.


1792 : le château de La Coste est pillé. Ses fils émigrent. Il est secrétaire de sa section, puis commissaire pour les hôpitaux.


1793 : il devient le président de sa section en juillet.

 

Le 9 octobre, il prononce le Discours aux mânes de Marat et de Le Peletier lors de la cérémonie organisée en hommage aux deux « martyrs de la liberté ».

 

Le 15 novembre, il est chargé de rédiger et de présenter à la Convention une pétition antireligieuse au nom de six sections.

 

Le 8 décembre, il est incarcéré aux Madelonnettes comme suspect.


1794 : en janvier, il est transféré aux Carmes, puis à Saint-Lazare.

 

Le 27 mars, Constance Quesnet réussit à le faire transférer à Picpus , dans une maison de santé hébergeant de riches « suspects » incarcérés dans différentes prisons de Paris que l'on faisait passer pour malades, la maison Coignard, voisine et concurrente de la pension Belhomme.

 

 Le 26 juillet (8 thermidor) il est condamné à mort par Fouquier-Tinville pour intelligences et correspondances avec les ennemis de la République avec vingt-huit autres accusés.

 Le lendemain (9 thermidor), l'huissier du Tribunal se transporte dans les diverses maisons d'arrêt de Paris pour les saisir au corps, mais cinq d'entre eux manquent à l'appel, dont Sade. Il est sauvé par la chute de Robespierre et quitte Picpus le 15 octobre.

 

A quoi doit-il d’avoir échappé à la guillotine ? « au désordre des dossiers » et à « l’encombrement des prisons » comme le pense Lely, ou aux démarches et aux pots-de-vin de Constance Quesnet qui a des amis au Comité de sûreté générale, comme en sont persuadés ses deux plus récents biographes Pauvert et Lever ?


1795 : publication d'Aline et Valcour "par le citoyen S***" et de la Philosophie dans le boudoir suivie de la mention « Ouvrage posthume de l'auteur de Justine »


1796 : il vend le château de La Coste.


1798 : Sade et Marie-Constance Quesnet sont dans la misère.


1799 : publication de La Nouvelle Justine suivi de l'Histoire de Juliette, sa sœur. Les saisies de l'ouvrage n'interviendront qu'un an après sa sortie.


1800 : publication des Crimes de l'amour par "D.A.F.Sade", auteur d'Aline et Valcour. La presse se déchaîne contre lui et persiste à lui attribuer Justine en dépit de ses dénégations.


1801 : 6 mars : arrestation de Sade chez son éditeur Nicolas Massé. Retenu et interrogé à la préfecture de police jusqu'au 2 avril. Le préfet Dubois considérant qu'une poursuite judiciaire " causerait un éclat scandaleux qui ne serait point racheté par une punition assez exemplaire", décide de le faire " déposer" à Sainte-Pélagie pour " le punir administrativement" comme auteur de " l'infâme roman de Justine et de l'ouvrage plus affreux encore intitulé Juliette". Il y restera presque deux ans.


1803 : Son attitude provoque des plaintes qui obligent les autorités à le faire transférer le 14 mars à Bicêtre, la " Bastille de la canaille", séjour trop infamant pour la famille qui obtient le 27 avril un nouveau transfert à l'asile de Charenton.

 

 Il reste, dans les Souvenirs de Charles Nodier, un portrait de Sade à ce moment : " Un de ces messieurs se leva de très bonne heure parce qu'il allait être transféré, et qu'il en était prévenu. Je ne remarquai d'abord en lui qu'une obésité énorme, qui gênait assez ses mouvements pour l'empêcher de déployer un reste de grâce et d'élégance dont on retrouvait les traces dans l'ensemble de ses manières et dans son langage. Ses yeux fatigués conservaient cependant je ne sais quoi de brillant et de fin, qui s'y ranimait de temps à autre comme une étincelle expirante sur un charbon éteint."


1808 : Il organise des représentations théâtrales à l'intérieur de l'asile.


1810 : Sade a soixante-dix ans. Constance Quesnet pensait qu'on ne pouvait garder en détention un homme de cet âge. Mais l'auteur de Justine fait toujours peur aux autorités. Le nouveau ministre de l'Intérieur, le comte de Montalivet, resserre la surveillance : " Considérant que le Sr de Sade est atteint de la plus dangereuse des folies; que ses communications avec les autres habitués de la maison offrent des dangers incalculables; que ses écrits ne sont pas moins insensés que ses paroles et sa conduite, (...) il sera placé dans un local entièrement séparé, de manière que toute communication lui soit interdite sous quelque prétexte que ce soit. On aura le plus grand soin de lui interdire tout usage de crayons, d'encre, de plumes et de papier." Les representations théatrales vont être interdites.


1814 : mort de Sade, le 2 décembre, à la Maison de santé de Charenton (aujourd'hui hôpital Esquirol), à Charenton-Saint-Maurice, (aujourd'hui Saint-Maurice). Selon son souhait, toute trace de sa tombe disparaît.

 

 

 Œuvres anonymes et clandestines  [modifier]
Objets de scandale et d'effroi dès leur parution, interdites jusqu'en 1960, elles sont à l'origine de la renommée de leur auteur et lui valurent ses dernières années d'emprisonnement. Sade a toujours soutenu opiniâtrement qu'elles n'étaient pas de sa plume.

 
Justine ou les Malheurs de la vertu, édition originale de 1791, ornée d’un frontispice allégorique de Chéry représentant la Vertu entre la Luxure et l’Irréligion. Le nom de l’auteur ne figure pas sur la page de titre et le nom de l’éditeur (Girouard à Paris) est remplacé par la rubrique : En Hollande, chez les Libraires associés.Justine ou les Malheurs de la vertu publié en 1791.


La Philosophie dans le boudoir; publié en 1795.


La Nouvelle Justine, suivi de l’Histoire de Juliette, sa sœur, et leurs cent et une gravures, la plus importante et la plus radicale des œuvres publiées de son vivant (1799).


Les Cent Vingt Journées de Sodome, manuscrit disparu à la prise de la Bastille, retrouvé en 1904, publié en 1931-1935 par Maurice Heine
Le manuscrit des Journées de Florbelle ou la Nature dévoilée, rédigé en 1804 à Charenton, sera saisi par la police en 1807 et livré aux flammes, à la mort du marquis, sur requête de son fils qui assistera à l'autodafé.


 Œuvres officielles  [modifier]


Reconnues par Sade, elles sont d'inspiration érotiques mais non pornographiques - « gazées » selon l'expression de leur auteur.

Le Comte Oxtiern ou les Effets du libertinage, seule pièce de Sade - sur dix-sept - représentée au théâtre en 1791


Aline et Valcour publié en 1795


Les Crimes de l'Amour publié en 1800


La Marquise de Gange, quoique publié anonymement en 1813, est de la même veine que Les Crimes de l'Amour
Le manuscrit inédit du Dialogue entre un prêtre et un moribond, manifeste de l'athéisme irréductible de Sade, a été découvert et publié en 1926 par Maurice Heine, ainsi que des Historiettes,Contes et Fabliaux. Nommé secrétaire de la section des Piques, le "citoyen Sade, hommes de lettre" a rédigé pour sa section en 1792 et 1793 des discours ou des pétitions qui nous sont parvenus :

 

Idée sur le mode de la sanction des lois


Petition des Sections de Paris a la Convention nationale


Discours aux mânes de Marat et de Le Pelletier


La Correspondance du marquis de Sade :

La correspondance de Sade avec son notaire Gaufridy a été publiée en 1929 par Paul Bourdin.

Cent soixante-deux lettres écrites au donjon de Vincennes et dix-sept lettres rédigées à la Bastille ont été retrouvées en 1948 par Gilbert Lely au château de Condé-en-Brie, chez le descendant direct du marquis, et publiées en trois recueils : l'Aigle, Mademoiselle... (1949), Le Carillon de Vincennes (1953), Monsieur le 6 (1954).

Enfin, une édition complète de la correspondance du marquis de Sade et de ses proches, en vingt-six volumes, a été publiée de 1991 à 2007 à Genève par Alice M. Laborde.


 Extraits  [modifier]
Testament du marquis de Sade


"...La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands, afin que par la suite le terrain de ladite fosse se trouvant regarni, et le taillis se retrouvant fourré comme il l'était auparavant, les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la terre, comme je me flatte que ma mémoire s'effacera de l'esprit des hommes."

 

Lettre à Mme de Sade écrite à Vincennes le 20 février 1781
" Oui, je suis un libertin, je l'avoue?: j'ai conçu tout ce qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait tout ce que j'ai conçu et ne le ferai sûrement jamais. Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel, ni un meurtrier"

 

Lettre à Mme de Sade écrite à Vincennes le 21 mai 1781 alors qu'il sait son courrier lu par la censure. La présidente de Montreuil est sa belle-mère, dom S(arti)nos est Antoine de Sartine, né à Barcelone, ministre d'état, ancien lieutenant général de police de Paris, M de Rougemont est le gouverneur du château de Vincennes.


"... Il n'appartient pas à la présidente de Montreuil, cousine, nièce, parente, filleule et commère de toute la petite vilaine banqueroute de Cadix et de Paris, à la présidente de Montreuil, nièce d'un fripon chassé des Invalides par M. de Choiseul pour ses vols et concussions, à la présidente de Montreuil qui a, dans la famille de son mari, un grand-père pendu en place de Grève, à la présidente de Montreuil qui a donné sept ou huit batards à son mari et qui a maquerellé toutes ses filles; il ne lui appartient pas de vouloir vexer, punir ou réprimer des défauts de tempérament dont on n'est pas maître et qui n'ont jamais fait de torts à personne.

 

Il n'appartient pas à dom S(arti)nos, trouvé un beau matin à Paris sans qu'on sache ni d'où il venait, ni d'où il arrivait, à peu prés comme ces champignons empoisonnés qu'on trouve éclos tout à coup au coin d'un bois, à dom S(arti)nos qu'on a découvert, à la fin, être issu du côté gauche du réverend père Torquemada et d'une juive séduite par le susdit dans les prisons de l'Inquisition de Madrid qu'il dirigeait, à dom S(arti)nos qui inventa des vexations et des tyrannies odieuses sur les plaisirs du public, afin de fournir des listes lascives qui puissent échauffer les petits-soupers du Parc-aux-cerfs, qui, pour faire sa cour à chaque part régnant, fit périr, ou dans les supplices, ou dans les prisons, plus de deux cents personnes innocentes,, à dom S(arti)nos enfin, le plus politiquement fourbe et le plus insignement coquin que jamais ait éclairé le ciel, et peut-être le premier, depuis que les abus se tolèrent, qui ait imaginé celui d'entretenir une putain avec des prisonniers, - non, il n'appartient pas à un tel simulacre effrayant du crime de vouloir ni censurer, ni reprendre, ni vexer des erreurs qui ont fait à lui-même ses plus chères délices, dans le temps qu'il volait cinq cent mille francs par an au roi, sur le million qu'on lui passait pour fournir des détails lubriques à la cour et qui, dans ce temps-là, non seulement volait impunément, mais abusait même avec infamie de sa place, pour contraindre de malheureuses créatures aux vices qu'il veut vexer aujourd'hui.

 

Ce n'est pas, en un mot, au petit bâtard de Rougemont, à l'exécration du vice personnifié, à la crapules en chausses et en pourpoint qui, d'un coté prostitue sa femme pour avoir des prisonniers, et de l'autre les fait mourir de faim, pour avoir un peu plus d'écus et de moyens de payer les infâmes suppôts de ses débauches, à un drôle enfin qui, sans les caprices de la fortune et le plaisir qu'elle prend à abaisser ceux qui doivent être élevés et à élever ceux qui ne sont faits que pour ramper, qui sans cela, dis-je, serait peut-être trop heureux d'être mon marmiton, si nous étions tous deux restés à la place où nous avait fait naître le ciel; ce n'est pas à un gueux de cette espèce à vouloir s'ériger en censeur des vices, et des mêmes vices qu'il a à un degré encore plus odieux, parce qu'encore un coup, on devient plus méprisable et plus ridicule quand on veut molester dans autrui ce qu'on a mille fois plus soi-même, que ce n'est pas aux bancals à se moquer des boîteux, ni aux aveugles à vouloir mener des borgnes. Ainsi soit-il, et je vous salue."

 

À Mme de Sade, vers le 25 juin 1783. L'administration pénitentiaire lui refuse les Confessions de Jean-Jacques Rousseau.
 
Le donjon de Vincennes : Sade y est enfermé en 1777, puis de 1778 à 1784, date de son transfert à la Bastille. Il devient "Monsieur le 6", comme il se nomme lui-même d'après son numéro de cellule que l'on visite encore aujourd'hui." Me refuser les Confessions de Jean-Jacques est encore une excellente chose, surtout après m'avoir envoyé Lucrèce et les dialogues de Voltaire; ça prouve un grand discernement, une judiciaire profonde dans vos directeurs. Hélas?! ils me font bien de l'honneur, de croire qu'un auteur déiste puisse être un mauvais livre pour moi; je voudrais bien en être encore là.

Vous n'êtes pas sublimes dans vos moyens de cure, Messieurs les directeurs ! Apprenez que c'est le point où l'on est qui rend une chose bonne ou mauvaise, et non pas la chose en elle-même. (…) Ayez le bon sens de comprendre que Rousseau peut être un auteur dangereux pour de lourds bigots de votre espèce, et qu'il devient un excellent livre pour moi.

Jean-Jacques est à mon égard ce qu'est pour vous une Imitation de Jésus-Christ. La morale et la religion de Rousseau sont des choses sévères pour moi, et je les lis quand je veux m'édifier (…)

Vous avez imaginé faire merveille, je le parierais, en me réduisant à une abstinence atroce sur le péché de la chair. Eh bien, vous vous êtes trompés: vous avez échauffé ma tête, vous m'avez fait former des fantômes qu'il faudra que je réalise (…)

Si j'avais eu Monsieur le 6 à guérir, je m'y serais pris bien différemment, car au lieu de l'enfermer avec des anthropophages, je l'aurais clôturé avec des filles ; je lui en aurais fourni en si bon nombre que le diable m'emporte si, depuis sept ans qu'il est là, l'huile de la lampe n'était pas consumée ! Quand on a un cheval trop fougueux, on le galope dans les terres labourées ; on ne l'enferme pas à l'écurie.(…) Monsieur le 6, au milieu d'un sérail, serait devenu l'ami des femmes ; Uniquement occupé de servir les dames et de satisfaire leurs délicats désirs, Monsieur le 6 aurait sacrifié tous les siens . L'habitude de n'en plus éprouver que de décents eût accoutumé son esprit à vaincre des penchants qui l'eussent empêché de plaire. Tout cela l'aurait laissé dans l'apaisement ; et voilà comme, dans le sein du vice, je l'aurais ramené à la vertu ! Car, encore un coup, c'est de la vertu qu'un moindre vice, pour un cœur très vicieux."

 

À Mme de Sade, début novembre 1783
"Ma façon de penser, dites-vous, ne peut être approuvée. Eh, que m'importe ! Bien fou est celui qui adopte une façon de penser pour les autres ! Ma façon de penser est le fruit de mes réflexions; elle tient à mon existence, à mon organisation. Je ne suis pas le maître de la changer; je le serais, que je ne le ferais pas. Cette façon de penser que vous blâmez fait l'unique consolation de ma vie; elle allège toutes mes peines en prison et j'y tiens plus qu'à la vie. Ce n'est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c'est celle des autres."

 

À son valet La Jeunesse le 8 octobre 1779. Mlle de Rousset dira au sujet de cette lettre « M. le marquis se porte bien; j'en juge par une lettre entièrement folle qu'il a écrite à La Jeunesse. »


" Tu fais l'insolent, mon fils ! Si j'étais là je te rosserai… Comment, vieux jean foutre de singe, visage de chiendent barbouillé de jus de mûre, échalas de la vigne de Noé, arête de la baleine de Jonas, vieille allumette de briquet de bordel, chandelle rance de vingt-quatre à la livre, sangle pourrie du baudet de ma femme, (…) Ah, vieille citrouille confite dans du jus de punaise, troisième corne de la tête du diable, figure de morue allongée comme les deux oreilles d'une huitre, savate de maquerelle, linge sale des choses rouges de Milli Printemps (Mlle de Rousset), si je te tenais, comme je t'en frotterais avec ton sale groin de pomme cuite qui ressemble à des marrons qui brûlent, pour t'apprendre à mentir de la sorte."

Le 15 novembre 1793, Sade lit devant la Convention sa Pétition de la Section des Piques aux représentants du peuple français dont il est l’auteur. « Sa masse considérable était-elle couverte d’une chasuble ? Tient-il la crosse en main ? A-t-il posé la mitre sur ses cheveux presque blancs ? Au moins – c’était pratiquement obligatoire en novembre 93, dans sa position, un bonnet rouge ? », se demande Jean-Jacques Pauvert dans Sade vivant.
« Législateurs, (…) Il y avait longtemps que le philosophe riait en secret des singeries du catholicisme ; mais s’il osait élever sa voix, c’était dans les cachots de la Bastille, où le despotisme ministériel savait bientôt le contraindre au silence. Eh ! Comment la tyrannie n’eût-elle pas étayé la superstition ? Toutes deux nourries dans le même berceau, toutes deux filles du fanatisme, toutes deux servies par ces êtres inutiles nommés prêtres au temple, et monarques au trône, elles devaient avoir les mêmes bases, et se protéger toutes deux.

 

Le seul gouvernement républicain pouvait, en brisant le sceptre, anéantir du même coup une religion sanguinaire, qui, de ses saints poignards, égorgea si souvent les hommes, au nom du Dieu qu’elle n’admettait que pour servir les passions de ses satellites impurs. Sans doute, avec de nouvelles mœurs, nous devions adopter un nouveau culte, celui d’un juif esclave des Romains ne pouvait convenir aux enfants de Scévole.

 

Législateurs, la route est tracée, parcourons-la d’un pas ferme, et surtout, soyons conséquents, en envoyant la courtisane de Galilée se reposer de la peine qu’elle eut de nous faire croire, pendant dix-huit siècles, qu’une femme peut enfanter, sans cesser d’être vierge ! Congédions aussi tous ses acolytes ; ce n’est plus auprès du temple de la Raison que nous pouvons révérer encore des Sulpice ou des Paul, des Magdeleine ou des Catherine »…


 De 1814 à nos jours  [modifier]

 L’auteur clandestin  [modifier]
 
Illustration pour Aline et Valcour. Une jeune Bohémienne est torturée par l'Inquisition en Espagne.Sade disparu, son nom, synonyme d’infamie, devient très vite, un nom commun, le sadisme.

 

Son œuvre restera interdite pendant un siècle et demi. En 1957 encore, dans le procès Sade, Jean-Jacques Pauvert, éditeur de Justine, défendu par Maurice Garcon avec comme témoins Georges Bataille, Jean Cocteau et Jean Paulhan, sera condamné par la chambre correctionnelle de Paris « à la confiscation et la destruction des ouvrages saisis ».

 

Mais des éditions circulent sous le manteau, surtout à partir du Second Empire, époque des premières rééditions clandestines, destinées à un public averti et élitiste. « Génération après génération, la révolte des jeunes écrivains du XIXe et du XXe siècle se nourrit de la fiction sadienne » écrit Michel Delon dans son introduction aux Œuvres de la Pléiade.

 

Sainte-Beuve en avertit les abonnés de La Revue des Deux Mondes en 1843 : «  j’oserai affirmer, sans crainte d’être démenti, que Byron et de Sade (je demande pardon du rapprochement) ont peut-être été les deux plus grands inspirateurs de nos modernes, l’un affiché et visible, l’autre clandestin – pas trop clandestin. En lisant certains de nos romanciers en vogue, si vous voulez le fond du coffre, l’escalier secret de l’alcôve, ne perdez jamais cette dernière clé ».

 

Flaubert est un grand lecteur de Sade. « Arrive. Je t’attends. Je m’arrangerai pour procurer à mes hôtes un De Sade complet ! Il y en aura des volumes sur les tables de nuit ! » écrit-il à Théophile Gautier le 30 mai 1857.

 

Les Goncourt notent dans leur Journal : « C’est étonnant, ce de Sade, on le trouve à tous les bouts de Flaubert comme un horizon (10 avril 1860) … Causeries sur de Sade, auquel revient toujours, comme fasciné, l’esprit de Flaubert : « c’est le dernier mot du catholicisme, dit-il. Je m’explique : c’est l’esprit de l’Inquisition, l’esprit de torture, l’esprit de l’Église du Moyen Âge, l’horreur de la nature (20 janvier 1860)… Visite de Flaubert. –Il y a vraiment chez Flaubert une obsession de de Sade. Il va jusqu’à dire, dans ses plus beaux paradoxes, qu’il est le dernier mot du catholicisme (9 avril 1861). »

 

Baudelaire écrit dans Projets et notes diverses : « II faut toujours en revenir à de Sade, c'est-à-dire à l'Homme Naturel, pour expliquer le mal. » Les Fleurs du mal suggère ce quatrain à Verlaine :

  Je compare ces vers étranges
  Aux étranges vers que ferait
  Un marquis de Sade discret
  Qui saurait la langue des anges

 

Dans À Rebours, Huysmans consacre plusieurs pages au sadisme, « ce bâtard du catholicisme ».


 La réhabilitation  [modifier]


Le tournant a lieu au début du XXe siècle, période où s’amorce un processus de libération des corps et des sexes et où l’érotisme se manifeste en littérature par des catalogues d’ « art érotique » et des traités d’éducation sexuelle. Sade suscite l'intérêt des scientifiques et des romanciers en raison du caractère précurseur de sa démarche.

 

Un psychiatre allemand Iwan Bloch, sous le pseudonyme d’Eugen Dühren , publie en 1901, simultanément à Berlin et à Paris, Le Marquis de Sade et son temps, et en 1904 le rouleau retrouvé des Cent Vingt Journées de Sodome. Il fait de l’œuvre sadienne un document exemplaire sur les perversions sexuelles, « un objet de l’histoire et de la civilisation autant que de la science médicale » tout en rapprochant les excès sadiens de la dégénérescence française du temps.

 

Apollinaire est le premier à faire paraître, en 1909, une anthologie, en choisissant des textes sadiens très prudents et en insistant sur les réflexions morales et politiques plutôt que sur les éléments scabreux. En même temps, à l’image d’un débauché capable des pires excès et au cas pathologique qui intrigue la science médicale, il substitue un portrait psychologique, à dimension humaine, où sont valorisés le savoir immense et le courage de « l’esprit le plus libre qui ait jamais existé », d’un homme non « abominable », trop longtemps nié alors qu’« il pourrait bien dominer le XXe siècle. »

 

À la suite d’Apollinaire, les surréalistes, se réclamant d’une logique de liberté et de frénésie, intègrent Sade, « prisonnier de tous les régimes », dans leur Panthéon. Sa présence est extraordinaire dans toutes leurs activités depuis le début. C’est Desnos qui écrit en 1923 : « Toutes nos aspirations actuelles ont été essentiellement formulées par Sade quand, le premier, il donna la vie sexuelle intégrale comme base à la vie sensible et intelligente » (De l’érotisme). C’est Breton disant : « Sade est surréaliste dans le sadisme. »

 C’est Éluard en 1926 reconnaissant : «  Trois hommes ont aidé ma pensée à se libérer d’elle-même : le marquis de Sade, le comte de Lautréamont et André Breton. »

 

Pour les surréalistes, Sade est un révolutionnaire et un anarchiste. Ses discours politiques - pourtant en partie opportunistes et de circonstance - font de lui un apôtre de la liberté et de la Révolution.

 

Le portrait imaginaire de Man Ray (1938), profil sculpté dans les pierres de la Bastille sur fond de Révolution en marche, symbolise cette vision que tout le XIXe siècle siècle et une grande partie du XXe siècle, jusqu’au graffiti de mai 68 « Sadiques de tous les pays, popularisez les luttes du divin marquis », se sont plu à répandre.

 

Mais Sade est l’écrivain de tous les paradoxes : après la Seconde Guerre mondiale et la découverte des camps de concentration, on le fait passer sans transition du communisme au nazisme : « Que Sade n’ait pas été personnellement un terroriste, que son œuvre ait une valeur humaine profonde, n’empêcheront pas tous ceux qui ont donné une adhésion plus ou moins grande aux thèses du marquis de devoir envisager, sans hypocrisie, la réalité des camps d’extermination avec leurs horreurs non plus enfermées dans la tête d’un homme, mais pratiquées par des milliers de fanatiques. Les charniers complètent les philosophies, si désagréable que cela puisse être. » écrit Raymond Queneau dans Bâtons, chiffres et lettres (1965), tandis que Simone de Beauvoir se demande : « Faut-il brûler Sade ? ».


 Les grands éditeurs et biographes  [modifier]


Maurice Heine (1884-1940), un compagnon de route des surréalistes, dévoue sa vie à la connaissance et à l’édition de Sade. Il publie en 1931 la première transcription rigoureuse des Cent Vingt Journées en 360 exemplaires « aux dépens des bibliophiles souscripteurs ». Il découvre et publie le Dialogue d’un prêtre et d’un moribond, composé par Sade à la prison de Vincennes, puis les Contes, historiettes et fabliaux, ainsi que la première version de Justine, les Infortunes de la vertu.

En 1933, il donne une nouvelle anthologie, toujours réservée à des amateurs.

Gilbert Lely (1904-1985), qui compose une œuvre poétique personnelle, reprend la mission d’éditeur et de biographe de Maurice Heine. Il entreprend la première grande biographie de référence, La Vie du marquis de Sade, sans cesse parfaite et complétée de 1948 à 1982, quatrième et dernière version publiée de son vivant.

 Dans les archives du château de Condé-en-Brie que le comte Xavier de Sade accepte de lui ouvrir en 1948, il découvre – dans deux caisses, fermées depuis 1815 d’un cordon rouge – la correspondance écrite au donjon de Vincennes et à la Bastille, des œuvres de jeunesse, deux romans, des pièces de théatre.

Jean-Jacques Pauvert est le premier éditeur à publier l’œuvre intégrale de Sade. Il encourt la prison. Il prend le risque et publie, de 1947 à 1949, l’Histoire de Juliette. Accusé de démoraliser la jeunesse, traîné en justice, suspendu de ses droits civiques, mais défendu par Me Maurice Garçon, expert des lois sur la censure, il achève néanmoins son entreprise en 1955 et gagne ses procès en appel. En 1958, le tribunal déclare que « Sade est un écrivain digne de ce nom. » En 1986, il met en chantier une nouvelle biographie avec les trois volumes de Sade vivant (1986-1990).

Maurice Lever (1935-2006) publie en 1991 la troisième grande biographie du marquis de Sade, puis une édition de ses Papiers de famille (1993 et 1995), son Voyage d'Italie (1995) et des lettres inédites échangées par le marquis et sa belle-sœur Anne-Prospère de Launey, chanoinesse séculière chez les bénédictines, Je jure à M. le marquis de Sade, mon amant, de n’être jamais qu’à lui… (2005).


 Notes  [modifier]
 
Jean-Baptiste François Joseph, comte de Sade, père du marquis de Sade? Donatien Alphonse François, marquis ou comte ? Son père, Jean-Baptiste François Joseph est qualifié « comte de Sade », seigneur de Saumane et de La Coste, co-seigneur de Mazan, mais son grand-père, Gaspard François est qualifié « marquis de Sade », seigneur de Saumane et Beauregard, La Coste, etc. Donatien Alphonse François est qualifié « marquis de Sade » jusqu’à la mort de son père en 1767 mais, après celle-ci, indifféremment « marquis de Sade » ou « comte de Sade » :
Le Parlement d’Aix, dans sa condamnation de 1772, lui donne le titre de "marquis de Sade".


Les lettres du roi de 1778 l’autorisant à se pourvoir contre la condamnation le désigne « notre cher et bien amé Louis-Aldonse-Donatien, marquis de Sade ».
Le conseil de famille, réuni en 1787 par ordonnance du Châtelet de Paris, le qualifie « marquis de Sade », chevalier, comte de La Coste et de Mazan, seigneur de Saumane
Le baron de Breteuil, ministre du roi, le qualifie, dans une lettre adressée en 1786 au lieutenant général de police, « marquis de Sade », mais le major de Losme parle dans ses rapports au même lieutenant de police en 1787 du « sieur comte de Sade ».


Il est incarcéré à la Bastille en 1784 sous le nom de « sieur marquis de Sade » et à Charenton en 1789 sous celui de « comte de Sade ».
L’inscription de la pierre tombale de sa femme porte « Mme Renée-Pélagie de Montreuil, marquise de Sade ».
Son acte de décès de 1814 le qualifie « comte de Sade ».
Il passe à la postérité sous le nom de "marquis de Sade".
? Aline et Valcour, dans "Pléiade", t.I, p.403


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Dernière modification de cette page le 12 mars 2008 à 10:00.
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